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Même pas mal

fais-tu partie de ces personnes qui ne se plaignent pas, traversent les épreuves sans se retourner, et ressentent de la gêne face à de la bienveillance exprimée à ton égard ?

Si la réponse est oui, je crois que tu es bien loin d’être le seul.e, et cette courte lettre est pour toi.
Lors de mes rendez-vous, certains clients me livrent des événements douloureux de leur vie, comme une rupture récente, un complexe physique développé suite à des moqueries, ou d’autres choses encore. Je suis souvent touchée par cette souffrance dévoilée, que l’on me donne à écouter. Et j’exprime mon empathie.

Et quand je l’exprime, je sens chez ces personne, comme un retrait, une fuite, et l’on me répond «non mais ça va hein ! c’est rien de grave» ou encore «bon mais voilà, pas de quoi en faire un plat, je vis avec et ça m’empêche pas de dormir»… Comme si mon empathie exprimée, pouvait gêner, ou rendre l’événément plus tragique qu’il ne l’est.

Je me pose beaucoup de questions à ce sujet (et je te rassure, ça ne m’empêche pas de dormir non plus !). Est-ce lié à ce qu’on attend d’un homme viril, qui ne doit ni se plaindre, ni se morfondre, et passer vite à autre chose ? Car oui en général ce sont plutôt des hommes que j’ai vus réagir de cette manière. Est-ce la peur d’être débordé.e par les émotions qui pourraient surgir si on leur laisse libre cours ? Ou encore est-ce la gêne de s’être laissé.e aller à livrer une part d’initimité sans l’avoir anticipé ?

Je t’invite à te poser la question pour toi-même. Est-ce que c’est facile pour toi de te laisser consoler ? Accepte-tu d’être parfois pas bien, triste, morose, dépité.e, mélancolique ? Cherche tu du soutien autour de toi quand cela arrive, ou te démerde tu tout.e seul.e parce que c’est comme ça qu’on fait et faire autrement c’est pour les faibles ?

J’ai envie de faire une petite ode aux émotions difficiles, celles dont on peut parfois avoir peur qu’elles nous cassent et que les autres s’éloignent de nous à cause d’elles, ou peur qu’elles se voient sur notre tête et provoquent la pitié ou le dégoût. Elles sont utiles, elles font partie de nous et elles font de nous des humain.e.s à part entière. En les partageant, elles sont un peu moins lourdes à porter. En se laissant être vulnérable, on autorise aussi les autres à l’être avec nous.

Et d’autres fois on a besoin de les vivre seul.e.

Mais se dire «c’est pas si grave», «passe au-dessus», ce n’est pas «vivre» une émotion, c’est plutôt la mettre de côté. Alors, à des moments, on doit le faire, parce que ce n’est pas le moment de pleurer ou de se laisser aller. Mais je crois qu’il est important de se réserver un vrai moment pour avoir «pitié de soi-même» comme disait l’un de mes amis.

Nous sommes dans un monde qui ne laisse pas beaucoup de place aux moments difficiles, aux émotions plombantes. Je suis sûre que tu connais comme moi les conseils du type «change toi les idées, passe à autre chose, arrête d’y penser, faut aller de l’avant, pense à des choses positives», etc… voire même tu les distilles à tes potes déprimé.e.s…
Alors, oui, se changer les idées, parfois c’est bien et important. Mais chaque chose en son temps : comment se changer les idées si pour l’instant on a même pas affronté l’idée de base ?

Alors vas-y, sois triste, en colère, aigri.e, désabusé.e, laiss-toi vivre ça, et si besoin trouve-toi une épaule sur laquelle pleurer. Tu pourras passer à autre chose plus tard, quand ce sera le moment pour toi.

Quel rapport avec la sexualité me diras-tu ? Aucun à première vue. Et pourtant je pense que plus j’accepte de traverser toutes mes émotions, même les moins marrantes, plus je suis connectée aussi à mon corps, à mes sensations, et plus le sexe devient un moyen de communiquer corporellement, une langue dans laquelle je peux m’exprimer fluidement mais aussi «sentir» le langage de l’autre et mieux le comprendre. Je ne sais pas toi, mais moi je vis parfois des émotions très fortes dans le sexe, et pas seulement de la joie ou du bonheur. Je peux parfois ressentir une profonde tristesse, ou me connecter avec des parties profondes de moi-même qui ressortent dans un moment fort sexuellement. Comment vivre cela sereinement si par ailleurs je ne m’autorise pas toute la palette émotionnelle, et si je ne m’autorise pas à me montrer vulnérable devant mon ou ma partenaire ?

Le sexe n’est pas extérieur à la vie même. On peut y vivre à peu près tout ce qu’on peut vivre comme sensations et émotions dans une vie, c’est ce qui en fait la beauté et le mystère à mes yeux, c’est ce qui en fait une manière d’entrer en lien si spéciale.

Si tu es triste en ce moment, je t’envois avec cette lettre toute la bienveillance et la douceur dont je suis capable.